Théories de la motivation, conceptions et propositions d’enseignants libanais
Théories de la motivation, conceptions et propositions d’enseignants libanais
Dr. Firass Radoin Al-Itaoui
Introduction:
Dans la perspective des nouveaux programmes au Liban (Ministère de l’Education Nationale, 1997), l’apprenant occupe une position centrale dans l’enseignement, où il participe activement à la construction de son savoir.
Il en découle la nécessité de connaître la motivation de l’apprenant et de la prendre en compte. Celle-ci est selon (Giordan, 1998) comme “un moteur de l’apprendre”.
D’autre part, la motivation, dans la situation éducative, n’est qu’un des aspects d’un domaine beaucoup plus vaste, à la dimension de la société, dans lequel s’inscrit le projet d’apprendre (Giordan, 1998).
Les parents, les copains interviennent, comme l’’enseignant, par des attentes sur le travail, sur l’école, des encouragements, des récompenses (l’argent de poche par exemple ), des contraintes ou des accompagnements. Tous ces éléments sont favorisants ou inhibant suivant les circonstances.
Notre recherche répond à un triple but: étudier les différents courants qui regroupent les conceptions de la motivation, identifier les conceptions des enseignants à propos de la motivation, et les comparer pour identifier le (s) type (s) de motivation utilisé au Liban. Notre recherche comprendera deux parties : une partie théorique et une partie de travail sur le terrain. la première partie comprend le cadre théorique relatif à l’aspect pédagogique c’est – à – dire les différents courants et origines de la motivation.
Le travail de terrain comporte la méthode de travail: l’échantillon, le questionnaire, , les résultats ainsi que leur interprétation
Première partie.
Les courants qui regroupent les conceptions de la motivation.
I-Les conceptions innéistes des motivations:
L’accent est mis sur les facteurs internes, inscrits dès la naissance dans l’individu c’est – à – dire “qu’il existe chez l’individu des caractéristiques fondamentales, constitutives de ‘la nature humaine’ qui déterminent le comportement” ( Mucchielli, 1982). Ce courant est la continuation moderne du courant philosophique dit “innéiste” ou “constitutionnaliste” qui de Platon à Descartes défendait l’innéité des idées.
Decartes propose cinq passions : l’admiration, l’amour, la haine, la joie et la tristesse; Freud (1920) propose deux grandes pulsions : la pulsion de vie et la pulsion de mort ; pour Piéron (1935) il distingue deux niveaux dans les besoins fondamentaux de l’homme : les besoins viscérogéniques (besoin d’air, d’eau, …) et les besoins psychologiques (l’alerte sexuelle…).
D’autre part, Muray (1938), parle d’un développement des besoins fondamentaux ( besoin de domination, de soumission, d’autonomie…), latents chez l’homme, selon les expériences personnelles de chaque individu. En 1954, Maslow propose la théorie des niveaux hiérarchiques des besoins ; pour lui les besoins humains sont organisés en niveaux. Au niveau le plus bas, on trouve les besoins physiologiques ( faim, soif, sexuel), il faut que ces besoins soient satisfaits pour que l’homme puisse se consacrer à la satisfaction des besoins de niveau supérieur et ainsi de suite. Il est à noter que pour Maslow, contrairement aux besoins des niveaux inférieurs, les besoins des deux derniers niveaux sont rarement satisfaits et l’homme cherche indéfiniment à les combler.
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(D’après Chiffre et Teboul, 1990) Mc Gregor, 1963 en déduit logiquement en effet, que désormais, pour motiver les travailleurs, il faut leur permettre de prendre des responsabilités ( besoin d’autonomie) et de faire un travail où ils puissent se réaliser ( besoin de réalisation de soi).
II- La Conception situationniste des motivations.
Dans cette optique, la source des comportements est extérieure à l’individu. L’homme est déterminé à agir d’une certaine façon par l’ensemble des contraintes environnementales (matérielles, sociales normatives) qui s’exercent sur lui. Dans sa forme pure cette conception s’appelle le sociologisme où l’acteur social est un sujet passif dont le comportement est l’effet de causes sociales extérieures.
D’autre part, pour Durkheim, c’est d’une part l’angoisse et d’autre part le sentiment de frustration qui interviennent comme ressort de l’action. Chez Marx, ce sont aussi des sentiments qui interviennent en dernier ressort : la conscience de classe et le sentiment d’aliénation.
L’idée commune à toutes ces conceptions situationnistes est que l’environnement est structuré et qu’ainsi il impose des voies obligées de passage aux comportements. “ L’individu est prisonnier des contraintes extérieures, il ne peut ni leur échapper ni les influencer” ( Mucchielli, 1982).
III- Les Conceptions empiristes des motivations.
Cette conception s’oppose directement à la conception innéiste. L’homme ne naît pas avec des instincts et des pulsions inscrits en lui. Au contraire, tous ses besoins et tendances sont façonnés par le milieu. A sa naissance l’homme n’est qu’une tabula rasa. Ce sont les expériences de la vie qui vont écrire sur cette page vierge et façonner l’individu qui sera ensuite le résultat conditionné de son passé. Cette conception est profondément psychologique, basée sur des principes de référence. On peut les formuler ainsi :
1-Tout individu recontre des situations qui vont le marquer. ( Postulat de l’existence de situations d’empreinte).
2-Ces situations laissent des traces affectives indélébiles ( postulat de l’empreinte affective).
3-Les traces affectives laissées orientent sa perception du monde, ses attitudes et ses réactions ultérieures ( postulat de la projection affective).
4-Les traces affectives laissées par les situations vécues sont plus ou moins communes aux individus. Elles déterminent les niveaux. des motivations humaines, culturelles et individuelles (postulat des niveaux des motivations).
5-Ces traces affectives peuvent se formuler sous forme de règle de vie ou de croyance , elles sous – tendent alors toutes les conduites (postulat de la formulation axiomatique des motivations ).
6- Ces règles de vie sont les conclusions psychologiques tirées par l’individu des situations vécues ( postulat de la formation par induction généralisante affective des motivations).
IV- Les conceptions interactionnistes des motivations.
Nuttin, 1980 en se basant sur une conception “relationnelle” du comportement, place le point de départ de la motivation ni dans un stimulus intra – organique, ni dans le milieu, mais dans le caractère dynamique de la relation même qui unit l’individu à son environnement. K. Lewin démontre que les individus mis dans les contraintes d’un travail « autocratique » en groupe ou « démocratique » ne « réagissent » pas de la même manière.
Dans le premier cas , les individus sont dépendants à l’égard du chef, peu coopérants, peu affectueux entre eux et peu créatifs ; dans le second cas, les individus sont plus dynamiques et enjoués, plus coopératifs, créatifs et moins agressifs bien que le travail se fasse moins vite et peut être avec moins de précision. La conclusion de Lewin les contraintes psychologiques induisent, est que indépendamment des personnalités, des comportements précis.
Les différentes origines de la motivation :
En psychologie, “on peut distinguer entre le mécanisme du comportement et les facteurs qui commandent sa mise en marche” (Ancona et al, 1959). Le premier problème est celui du comment du processus comportemental, le second demande pourquoi l’homme ou l’animal agit et fait telle ou telle chose. L’étude de la motivation se rapporte à cette question du pourquoi ou des “ causes ” immédiates du comportement. Elle est considérée selon Chiffre et Teboul comme une relation qui s’établit entre un système (désirs, besoins, buts) et un environnement ( nature du travail, relation hiérarchique …) , alors que chez Diel, “la psychologie de la motivation s’occupe des objets du monde intérieur, des désirs qui se muent en motifs et de leurs relation légales” ( Diel, 1991).
L’origine de la “motivation” n’est ni uniquement externe, ni uniquement interne. La motivation naît de la rencontre du sujet et de l’objet qui tous deux ont des caractéristiques interagissant les uns sur les autres.
1- La motivation comme stimulus et énergie :
Des psychologues assimilaient le comportement à l’activité générale d’un organisme et allaient jusqu’’à identifier la motivation à “l’énergie d’origine chimique que la nourriture fournit à l’être vivant” (Nuttin, 1980).
Plus psychologique , Freud puise l’énergie pour la mise en marche de l’appareil psychique dans le stimulus qui agit sur l’organisme.
2- La motivation comme association et connexion apprises.
En effet, on y conçoit le comportement moins comme une décharge que comme une réaction associée à un stimulus.
Ce stimulus devient le point de départ d’une réaction qui, à son tour, aboutit à un autre stimulus (la nourriture, par exemple) qui lui, renforce – positivement ou négativement – l’association établie.
3- La motivation comme facteur physiologique.
La psychologie expérimentale de la motivation s’intéresse surtout aux besoins et pulsions à base nettement physiologique, tels la faim, la soif, la sexualité ….
Ce type de recherches a pour objet l’étude de certaines conditions physiologiques de l’organisme dans leur influence sur le comportement. Pour cette raison la motivation apparaît à certains béhavioristes comme un terme global et peu scientifique pour désigner l’influence d’une variété d’états physiologiques sur le comportement.
4- Motivation et activité spontanée de l’organisme.
Beaucoup d’auteurs, nous l’avons vu, font appel à la notion de motivation pour expliquer pourquoi l’organisme passe de l’état de repos à l’état d’activité.
La motivation doit mobiliser l’énergie, elle est un facteur d’énergétisation. “ C’est le point de vue physique qui explique le mouvement par une force” (Diel, 1991). Cependant, la biologie vient de mettre en doute la validité de ce point de vue physique pour expliquer le “ mouvement” des organismes vivants :
On a démontré que la cellule nerveuse n’a pas besoin, pour être active, d’une excitation venant de l’extérieur; elle n’est pas physiologiquement inerte ; l’activité, et non le repos, est son état naturel ; “elle n’est pas seulement réactive, mais active de façon continue” ( Hebb, 1949, cité par Nuttin ,1980) . Aussi, le changement dans les conditions externes ou internes n’est-il pas la cause d’un processus dans un organisme autrement inerte ; il faut le concevoir plutôt comme modifiant des processus dans un système actif de façon autonome.
Au niveau psychologique, on aurait pu s’en douter depuis longtemps. En effet, de la naissance à la mort, l’être vivant se comporte ; “si la stimulation lui manque, il la cherche” ( Bartoshuk). Toutefois, il reste intéressant de constater qu’au niveau biologique certaines formes d’activité continuent sans stimulation externe. Certaines cellules dans la rétine augmentent même leur degré d’activité dans l’obscurité complète et maintiennent ainsi le système nerveux en état d’éveil, activement “ouvert” aux interactions possibles avec le milieu. Ce qui nous intéresse ici en rapport avec la motivation est le fait que, en absence de besoins organiques et de stimulation externe adéquate, l’individu reste actif ( Nuttin, 1980 ).
5- Motivation comme mécanisme d’adaptation et de stabilité interne ( Homéostasie ).
Selon le modèle Darwinien de l’adaptation biologique, aussi bien que celui de l’homéostasie, un des aspects essentiels de la motivation humaine, est la tendance à aller de l’avant, à rompre l’équilibre et à aller au – delà d’un état de choses atteint. Cet aspect resté caché pour la plupart des psychologues est une lacune que le modèle biologique partage avec la théorie freudienne de l’inertie et le modèle physique de la décharge d’énergie.
Deuxième partie.
La méthode de travail
L’échantillon
L’échantillon est constitué par 35 enseignants qui enseignet dans 20 écoles publiques en Beyrouth . 19 parmi eux enseignent les classes primaires et complémentaires (5 ♂ 14 ♀) et 16 enseignent les classes secondaires ( 8 ♂ et 8 ♀ ). d’autre part , on trouve parmi eux 15 qui enseignent des matières scientifiques ( Math, Physique , Chimie et Biologie ) et 20 qui enseignent des matières littéraires ( Arabe , Français , Anglais et Histoire ).
Niveau → | Primaire et Complémentaire | Secondaire | Total général | ||||
Matière ↓ | |||||||
Scientifiques | ♀ | ♂ | Total | ♀ | ♂ | Total | 15 |
5 | 1 | 6 | 5 | 4 | 9 | ||
Littéraires | 9 | 4 | 13 | 3 | 4 | 7 | 20 |
Total | 14 | 5 | 19 | 8 | 8 | 16 | 35 |
Répartition des enseignants selon le sexe, le niveau scolaire d’enseignement et la matière enseignée
L’instrument de mesure :
Le questionnaire comporte 2 questions qui nous permettent d’étudier les conceptions des enseignants concernant les indicateurs de la motivation (question 1) et les types des motivations utilisés dans l’enseignement (question 2) . À noter que dans une prépassation , ce questionnaire a été proposé à un groupe de trois enseignants , et n’a pas subi de modification , ayant été compris par l’échantillon de la prépassation.
Les résultats
Question1: A quoi reconnaissez-vous qu’un élève est motivé ou non?
Réponses | Enseignants secondaires | Enseignants primaires et complémentaires |
Attitude attentive | 15 (94%) | 18 (95%) |
Faire des recherches personnelles | 7 (44%) | __ |
Faire une discussion | 5 (31%) | 6 (32%) |
Présence | 1 (6%) | __ |
Faire le devoir | 1 (6%) | 6 (32%) |
Oublier le temps | 2 (13%) | __ |
Travailler en groupe | __ | 3 (16%) |
Les résultats de la première question
Question 2: Quels moyens proposez – vous pour motiver les élèves?
Réponses | Enseignants secondaires | Enseignants primaires et complémentaires |
Utiliser des matériels | 8 (50%) | 4 (21%) |
Faire correspondre la leçon au vécu | 5 (31%) | __ |
Faire une discussion d’un problème | 8 (50%) | 3(16%) |
Demander aux élèves de faire le devoir | 1(6%) | __ |
Augmenter ou diminuer la voix | 1(6%) | 1(5%) |
Ecouter bien les questions de élèves | 1(6%) | __ |
Ne repète pas la même idée | 1(6%) | __ |
Demander aux élèves de faire un recherche | 2(13%) | 7(37%) |
Valoriser leurs réponses par par des points “plus” | 2(13%) | 7(37%) |
Reformulation les programmes | 1(6%) | 1(5%) |
Classes vastes, confortables | __ | 9(47%) |
Etude psychologique de l’élève | __ | 9(47%) |
Interprétation des résultats
Question 1 :
“L’attitude attentive ” qui comporte les pourcentages les plus élevés pour les deux groupes d’enseignants (94%) ne nous semble pas un indicateur pertinent de la motivation , par contre on trouve des indicateurs pertinents de la motivation (oublier le temps 13% ; faire des recherches personnelles 44%) catégories qui n’existent pas chez les enseignants du primaire et complémentaire. De même “ faire une discussion ” est présente avec le même pourcentage (31%) dans les deux groupes. Des catégories sont spécifiques des enseignants du primaire et complémentaire : “ travailler en groupe ’ (16%) et faire le devoir (32%).
Ces résultats montrent que le groupe des enseignants du secondaire est plus en conformité avec la perspective des nouveaux programmes bien que la catégorie de “l’attitude attentive“ révèle chez eux un conflit entre deux types de pédagogie, tandis que les enseignants de primaire sont beaucoup plus ancrés dans l’enseignement magistral et ignorent les indicateurs de la motivation.
Question 2 :
L’analyse des réponses pour la question 2 révèle que les enseignants du secondaire se rencontrent essentiellement entre la conception situationniste (utiliser des matériels 50 % ) et la conception interactionniste (faire correspondre la leçon au vécu 31 % , et faire une discussion d’un problème 50 % ).
Quant aux enseignants du primaire et complémentaire , on constate un fort pourcentage pour la conception situationniste (“ classes vastes confortables ” 47 % ainsi que “ utiliser des matériels 21%) ; d’autre part on remarque un fort pourcentage pour la conception innéiste caractéristique de ce groupe (étude psychologique de l’élève 47 %).
La conception interactionniste apparait également chez ce groupe (“ demander aux élèves de faire des recherches ” 37 % et “ faire une discussion d’un problème ” 16 %). Il est à noter que la catégorie d’une motivation de type béhavioriste a été rencontrée chez les deux groupes mais de manière plus marquée pour les enseignants du primaire et complémentaire ( valoriser leurs réponses par des points supplémentaires respectivement 13 % et 37 %)
Conclusion :
Les résultats de cette recherche ont montré l’ignorance des enseignants du primaire et complémentaire des indicateurs de la motivation , les réponses fournies par ceux – ci indiquant un type d’enseignement magistral éloigné de la perspective des nouveaux programmes, alors que les enseignants du secondaire ont fourni des indicateurs plus pertinents.
Concernant les propositions de moyens pour la motivation, les résultats ont permis de classer les enseignants dans des catégories différentes selon le niveau d’enseignement. Les enseignants du secondaire sont essentiellement interactionnistes et situationniste alors que les enseignants du primaire et du complémentaire sont plus hétérogènes se distribuant entre l’interactionnisme le situationnisme , l’innéisme et le béhaviorisme.
Matière enscignée:
Niveaux d’enseignement :
Åges d’expériences:
Sexe :
La motivation a été définie comme “moteur de l’apprendre “(GIORDAN 98).
1- A quoi rcconnaissez- vous qu’un élève est motivé ou non?
2- Quels moyens proposez — vous pour motiver les élèves?
Bibliographie
1- ANCONA, L., et al.,1959, La motivation , Paris, Presses universitaires de France.
2- BARTOSHUK , A . K., La motivation , Masson.
3- CHIFFRE J.D., et TEBOUL,J., La motivation et ses nouveaux outils, France, Lienhart .
4- DIEL , P.,1991, (1969), Psychologie de la motivation , Paris , Payot.
5- GIORDAN, A. 1998, Apprendre , Paris , Belin.
6- MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE , 1997, Les programmes de l’enseignement et leurs objectifs, Beyrouth, C.R.D.P.,
7- MUCCHIELLI , A.,1981, Les motivations , Paris , Presses universitaires de France.
8- NUTTIN,J.,1980, Théorie de la motivation humaine, Paris , Presses universitaires de France.
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